Crainte d’un retour de l’IS

Dans le nord-est de la Syrie, de nombreuses personnes craignent un retour à grande échelle de l’EI. Ce qui les effraie, ce ne sont pas seulement les nombreux nouveaux attentats de la milice terroriste, mais aussi une « bombe à retardement » d’un tout autre type.

Le camp Al-Hol est un lieu oppressant au nord-est de la Syrie. La poussière flotte, l’odeur des eaux usées flotte dans l’air. Des femmes entièrement voilées de noir se faufilent comme des ombres entre les toiles de tente blanches, des jeunes jettent des pierres et font des gestes de tête en direction des visiteurs qui, pour des raisons de sécurité, ne s’approchent d’eux que dans des véhicules blindés ou à pied, aux côtés de soldats lourdement armés.

Simon Riesche

L’enceinte confuse est entourée de barbelés et de clôtures, qui sont pourtant loin d’être infranchissables. Jour et nuit, des armes, mais aussi des personnes, sortent et entrent clandestinement, dit-on. « C’est un endroit très dangereux », dit Jihan Hanan, qui gère le camp pour les autorités kurdes de la région. « Nous aimerions pouvoir assurer une plus grande sécurité », dit-elle. Mais malheureusement, à l’intérieur, « l’EI règne toujours ».

Les rapports de force dans le nord de la Syrie

Simon Riesche, ARD Le Caire, tagesthemen 22h15, 28.2.2023

Camp de réfugiés, camp de détention et refuge pour terroristes

Al-Hol, c’est un mélange douteux de camp de réfugiés, de camp d’internement et d’abri pour terroristes. Mais c’est surtout un rappel que le soi-disant État islamique en Syrie a certes été vaincu militairement sur le terrain depuis 2019, mais qu’il continue d’exercer une grande force d’attraction sur nombre de ses partisans.

Plus de cinquante mille personnes vivent à Al-Hol, en premier lieu des enfants et des femmes de combattants de l’EI, qui sont à leur tour détenus dans des prisons surpeuplées à proximité. Les familles sont originaires de dizaines de nations, principalement de Syrie et d’Irak, mais beaucoup viennent également d’Asie centrale et d’Europe.

Certains États ont commencé à rapatrier de Syrie au moins certains de leurs ressortissants, jusqu’à présent presque exclusivement des femmes et leurs enfants.

Malgré cela, des lieux comme Al-Hol continuent de déborder de toutes parts. « Nous espérons obtenir beaucoup plus de soutien de la part de la communauté internationale », déclare Hanan, la directrice du camp.

« Les femmes du camp d’Al-Hol font des enfants pour qu’ils deviennent plus tard des combattants », explique un commandant kurde.

Image : REUTERS

La procréation comme guerre sainte ?

Il y aurait environ soixante naissances par mois rien qu’à al-Hol. La procréation comme guerre sainte ? Plusieurs sources s’accordent à dire que les femmes islamistes particulièrement convaincues pousseraient leurs fils, âgés de quatorze ou quinze ans seulement, à épouser et à engrosser d’autres femmes.

« Les femmes font des enfants pour qu’ils deviennent plus tard des combattants », explique un commandant kurde. Dès leur plus jeune âge, les enfants sont endoctrinés et radicalisés. Il y a déjà des dizaines de milliers d’enfants qui n’ont pas la possibilité d’aller à l’école. On craint qu’il s’agisse d’une génération qui n’apprenne rien d’autre que la vision du monde d’une organisation terroriste islamiste. « C’est une bombe à retardement ».

Certains des enfants que les combattants étrangers ont jadis amenés avec eux lorsqu’ils sont venus du monde entier en Syrie pour rejoindre l’EI sont déjà à la limite de la majorité. Certains d’entre eux sont considérés comme particulièrement dangereux, impliqués dans des attentats qui, ces dernières semaines, ont une fois de plus semé la terreur parmi les habitants du nord-est de la Syrie, mais aussi d’autres régions du pays.

Simon Riesche, ARD Cairo, actuellement à Qamishli, avec des détails sur la situation dans le nord de la Syrie

tagesthemen 22h15, 28.2.2023

Augmentation de l’activité de l’EI depuis le tremblement de terre

« Ils minent la région, frappent aux portes des maisons et tirent ensuite dans la tête des gens avec des pistolets silencieux », explique Shaheen Derik, qui combat lui-même l’EI en tant que soldat. Depuis le tremblement de terre d’il y a un mois, les activités des terroristes ont encore augmenté massivement dans toute la Syrie, observent les experts.

« Les cellules profitent de chaque opportunité, de chaque phase de chaos pour passer à l’action », explique Siyamend Ali, porte-parole des Forces démocratiques syriennes, les FDS. Il s’agit de la branche militaire du gouvernement de la région autonome kurde dans le nord-est de la Syrie.

En collaboration avec des partenaires internationaux, notamment l’armée américaine, les FDS mènent régulièrement des raids et des opérations spéciales contre l’EI, mais elles craignent aussi fortement de ne pas pouvoir s’opposer suffisamment aux islamistes qui ont repris du poil de la bête.

Le risque d’un retour en force est grand

Si le conflit avec la Turquie continue de s’aggraver dans les prochains mois et qu’une nouvelle offensive terrestre turque est lancée contre les Kurdes de Syrie, le risque est grand de voir la lutte contre la milice terroriste complètement délaissée, car il faudra se concentrer sur la défense militaire de sa propre frontière, préviennent à l’unisson les commandants des FDS.

Si des évasions de prison devaient alors avoir lieu et que la situation dans des camps comme Al-Hol devenait totalement incontrôlable, presque rien ne s’opposerait à un grand retour de l’IS. Un scénario d’horreur dans la lutte mondiale contre le terrorisme islamiste.