« The Woman King » au cinéma : le combat des femmes – Culture

Une scène située à peu près au milieu du film illustre bien le fait que ce film renverse un certain nombre de choses que l’on croit pouvoir attendre d’un drame historique en costume avec des scènes d’action. Un chef de tribu des puissants Oyo d’Afrique de l’Ouest est assis à la table d’un marchand d’esclaves brésilien, il est question d’argent et de la sale affaire à laquelle tous deux participent. Le Brésilien se plaint des Britanniques qui sont en train de s’imposer dans la marine marchande transatlantique. Mais le chef d’Oyo l’interrompt : « Vos querelles tribales ne nous intéressent pas ». Tout n’est qu’une question de perspective.

« The Woman King » renverse encore plus que le point de vue des colonisateurs et des colonisés. Le film s’ouvre sur une attaque surprise des Agojie contre un village ennemi. Soudain, elles sont là, les redoutables guerrières du roi du Dahomey, qui ont réellement existé dans l’actuel Bénin jusqu’à la fin du XIXe siècle. Viola Davis, dans le rôle de leur générale Nanisca, se lève des hautes herbes, pousse un cri de guerre en trilles, puis entre dans le vif du sujet. Ils libèrent un groupe de prisonniers qui devaient être vendus comme esclaves aux Européens.

Le film montre très tôt que les Africains étaient eux-mêmes impliqués dans le commerce des esclaves et qu’ils en profitaient. Malgré cela, les critiques lui ont reproché d’enjoliver les choses. Nanisca ne se contente pas de protéger le royaume contre les Oyo avec ses guerrières, elle est aussi une politicienne. Et en tant que telle, elle veut amener le roi Ghezo à mettre fin au commerce d’esclaves, qu’elle considère comme une honte pour son peuple. Dans le film, elle y parvient. En réalité, le Dahomey n’a mis fin au trafic d’êtres humains que lorsque les Britanniques ont imposé un blocus maritime au milieu du 19e siècle. C’est ici que l’historiographie gentiment alternative du film troque l’historiquement correct contre une morale claire.

Le film s’écarte également des faits historiques sur un autre aspect : Dans la version originale, tous les Africains parlent anglais avec un accent africain. Cela peut être conçu comme un geste d’autonomisation – en tant que spectateur, on s’identifie plus facilement à ceux qui parlent sa propre langue. Mais cela conduit à un fouillis de niveaux de signification. L’anglais est une langue des colonisateurs de l’Afrique, mais pas du Bénin, qui est devenu français à la fin du 19e siècle. Si les Africains parlaient simplement un anglais non marqué, cela ne se remarquerait pas. Un film d’action qui vise un large public n’a pas besoin d’être sous-titré dans une authentique langue tribale. Mais l’accent africain souligne le fait que l’on parle ici une langue particulière, qui n’est certainement pas celle du Dahomey. Bref, en tant que spectateur, on commence à se poser des questions – des questions qui n’intéressent manifestement pas le film.

L’histoire, que la réalisatrice Gina Prince-Bythewood (« The Old Guard ») raconte ici par ailleurs de manière très efficace, a une structure classique, ce qui ne fait pas de mal pour un sujet aussi inhabituel. On entre dans le monde des Agojie en compagnie de la jeune recrue Nawi. Elles peuvent vivre avec eux dans le palais royal, à l’abri du peuple et des hommes. Mais le respect qu’on leur témoigne a un prix : les Agojie s’engagent à rester célibataires. Thuso Mbedu, de la série Amazon « The Underground Railroad », joue cette jeune amazone en herbe avec un étonnement sceptique et une résistance gagnante. Son père l’a abandonnée sans ménagement à la porte du palais parce qu’elle s’oppose à son ordre de se marier. La dernière survivante des Agojie s’appelait elle aussi Nawi, elle n’est morte qu’en 1979, à bien plus de 100 ans.

Viola Davis joue Nanisca avec dignité, mais avec une tristesse dans le regard

Nawi suit un entraînement rigoureux chez les Agojie. Son talent doit se transformer en compétence, sa rage de jeune fille en discipline. Son mentor, Izogie, est interprété avec une grande nonchalance, pleine d’humour et de chaleur, par Lashana Lynch, qui était le nouveau 007 dans le film de James Bond « Pas le temps de mourir ». On l’aime immédiatement pour son mélange de chaleur et de brutalité joyeuse. Ses ongles sont longs et pointus – pour le combat rapproché. Car, dit-elle, « sans les yeux, le combat est vite terminé ».

Mais au-dessus de tout cela trône, dans le rôle de la générale Nanisca, Viola Davis, dont on n’attend évidemment rien d’autre entre-temps que de dominer chaque film, de l’élever et, plus généralement, de le rendre meilleur. Elle est ici musclée et digne, mais avec une tristesse dans le regard, qui est liée au chef des Oyo par de brefs flashbacks de traumatismes. Nanisca est une guerrière avec de nombreuses cicatrices.

Sa santé mondiale contraste très bien avec le roi Ghezo, toujours un peu éméché par lui-même. John Boyega (« Star Wars ») l’interprète avec un plaisir évident de l’ambivalence. Ghezo encourage certes l’agojie et se fie à la parole de Nanisca. Mais cela ne fait pas de lui un protoféministe. Lorsque Nawi remporte un concours de recrues, au cours duquel elle a notamment dû se frayer un chemin à travers de méchants buissons d’épines et franchir un mur haut comme une maison, il plaisante comme un boomer qui a raté « Me Too » : elle est si jolie qu’il en ferait l’une de ses épouses – si elle ne pouvait pas en faire autant.

Malgré le plaisir que procurent les scènes de combat magnifiquement chorégraphiées et l’immense fierté que dégagent les Agojie, « The Woman King » ne fait jamais, et c’est appréciable, comme si ces amazones ne faisaient pas partie du système qui tient fermement toutes les tribus, qu’elles soient dahoméennes, oyo, portugaises ou britanniques : le patriarcat.

La femme roi, USA 2022 – Réalisation : Gina Prince-Bythewood. Scénario : Dana Stevens. Caméra : Polly Morgan. Avec : Viola Davis, Thuso Mbedu, Lashana Lynch, John Boyega. Sony, 135 minutes. Sortie en salle : 6 octobre 2022.