Opération « Remove » : Des documents internes montrent comment Amazon se débarrasse de centaines de tonnes de produits parfois neufs comme des ordinateurs portables

Amazon a jeté des centaines de tonnes de marchandises, dont certaines étaient neuves, au cours des deux dernières années. C’est ce que prouvent des listes internes d’Amazon, des enregistrements et des photos que Business Insider et le magazine « Frontal » de la ZDF se sont procurés.

Le géant du commerce le fait en dépit des nouveautés légales qui devraient en principe empêcher cela. Le ministère fédéral de l’Environnement compétent admet toutefois qu’il n’y a pas d’amendes pour les entreprises en cas de non-respect des règles fixées.

Une porte-parole d’Amazon affirme que moins d’un pour cent des produits d’Amazon sont détruits, recyclage compris. Amazon a également remplacé le terme « détruire » par « éliminer ».

Dans une petite ville au centre de l’Allemagne, le géant mondial Amazon a créé quelque chose de grand. Un centre logistique qui, avec ses plus de 100.000 mètres carrés, est aussi grand que deux douzaines de terrains de football. C’est aussi l’endroit où le groupe commercial continue à faire en secret ce qu’il aurait dû laisser tomber il y a des années. Il y détruit systématiquement des marchandises qui sont en partie neuves ou à l’état neuf. On y trouve des palettes et des tonnes de lampes solaires, de lampes ou de toners pour imprimantes laser. Sur certaines de ces marchandises, des autocollants indiquent « à détruire ». C’est ce que montrent de nombreuses photos dont nous disposons ainsi que le magazine « Frontal » de la chaîne de télévision allemande ZDF.

Il y a quelques semaines, deux palettes de couvertures neuves pour bébés ont été détruites dans le centre logistique, nous raconte un initié d’Amazon. Prix : 45 à 60 euros par couverture. « La marchandise aurait dû être donnée. Aux réfugiés d’Ukraine ou directement dans la région. Cela fait saigner le cœur », dit l’initié.

En fait, ce genre de destruction de marchandises ne devrait plus exister. En 2018 déjà, il a été révélé qu’Amazon détruisait systématiquement des marchandises en Allemagne. Le groupe avait alors promis de s’améliorer et de recycler nettement plus de marchandises au lieu de les jeter à la poubelle. Le gouvernement fédéral s’est alors activé et a renforcé la loi sur le recyclage. L’objectif était d’empêcher que des géants du commerce comme Amazon continuent à détruire en masse des marchandises à l’état neuf.

Le centre logistique d’Amazon au centre de l’Allemagne est-il un cas isolé ? Ou la destruction de marchandises chez Amazon est-elle systématique jusqu’à aujourd’hui ? Concrètement, combien de marchandises Amazon détruit-elle ?

Les initiés d’Amazon se confient

Avec des collègues du magazine « Frontal » de la ZDF, nous avons rencontré pendant des mois des employés d’Amazon sur différents sites. Comme ils risquent de perdre leur emploi en nous parlant, ils ne veulent pas que leur nom apparaisse dans cet article. Leurs lieux de travail concrets permettent également de tirer des conclusions sur eux, c’est pourquoi nous n’indiquons pas de lieu. Des enregistrements et des photos de plusieurs centres logistiques d’Amazon, qui nous ont été transmis au cours de notre enquête, étayent les descriptions des employés.

Dans le nord de l’Allemagne, un informateur d’Amazon bien connecté est assis en face de nous. « Les destructions se poursuivent dans tous les cas. On ne peut pas dire qu’il y ait des changements. La seule chose qui a changé, c’est la dénomination. Sur certains sites, on parle de reconditionnement ou de ‘Remove’. Amazon évite le mot ‘Destroy’ (détruire) pour donner un meilleur nom à tout cela », nous dit-il.

Les produits détruits ne sont pas seulement des produits bon marché, mais aussi des produits chers et de grande valeur. Des ordinateurs portables, des hoverboards, des claviers ou des tronçonneuses, par exemple. Il n’est pas rare que les prix des produits neufs se situent dans une fourchette à quatre chiffres, explique l’initié d’Amazon. « Quand on voit ça en tant qu’employé normal, qu’on compare ce qui est jeté avec ce qu’on gagne par heure, c’est énorme ».

L’ampleur de la destruction ? « Ce n’est pas (la destruction, note de la rédaction) par palettes, mais par camions. Dans chaque camp », dit l’initié.

Nous montrons quelques photos des centres logistiques avec des marchandises encore dans leur emballage d’origine, qui nous ont été transmises. Parmi elles, la tronçonneuse, l’hoverboard et des claviers :

Ceci est étayé par une liste interne d’Amazon qui a été transmise à l’association Greenpeace. Business Insider a également obtenu cette liste. Il s’agit d’environ 120 pages de preuves sur les quantités recyclées et détruites par Amazon en Allemagne et dans d’autres pays européens. Pour la première fois, ces listes donnent un aperçu détaillé des proportions dans lesquelles Amazon jette des marchandises. Rien qu’en Allemagne, l’entreprise aurait ainsi jeté près de 1840 tonnes en un an et demi – uniquement dans le groupe Produit/Divers.

Voici un extrait de la liste interne d’Amazon, dont Business Insider a eu connaissance. Sur cet extrait, on peut voir combien de tonnes sont jetées dans un centre logistique Amazon donné en Allemagne.

Business Insider a confronté Amazon aux résultats de la recherche. Une porte-parole fait savoir que le terme « détruit » est trompeur. « Nous avons rebaptisé cette catégorie de gestion de produits ‘supprimer’ afin de mieux refléter les processus associés ».

Une porte-parole souligne : Amazon s’efforce d’augmenter le taux de recyclage

La porte-parole ajoute que moins d’un pour cent des produits d’Amazon sont mis au rebut, recyclage compris. Plus de la moitié des produits vendus par Amazon dans le monde proviennent d’entreprises partenaires indépendantes. « Comme les produits retournés ne nous appartiennent pas, c’est aux partenaires de vente de décider de ce qu’ils font de ces marchandises », explique la porte-parole.

Certains produits ne peuvent pas être vendus, revendus ou donnés, auquel cas la « priorité » d’Amazon est de les recycler. L’entreprise s’efforce d’augmenter le taux de recyclage, ajoute la porte-parole.

Malgré les demandes, la porte-parole ne s’exprime pas sur le chiffre concret des 1840 tonnes de marchandises de la catégorie « produit » qu’Amazon aurait jetées en un an et demi.

Dans une déclaration générale, la porte-parole fait savoir que « la gestion des produits retournés et invendus a toujours été un défi pour tous les commerçants. Chez Amazon, nous avons conçu nos programmes de manière à maximiser l’utilisation et la réutilisation et à minimiser les déchets. Notre point de vue est simple : si un produit peut servir à quelque chose d’utile, nous voulons qu’il soit utilisé. Cela a du sens, tant sur le plan économique qu’écologique ».

Selon la porte-parole, Amazon a fait don de plus d’un million de produits à des organisations à but non lucratif en 2021. Greenpeace critique la démarche et la justification d’Amazon. Viola Wohlgemuth, collaboratrice de l’association, se bat depuis des années contre la destruction de marchandises. « J’aimerais dire que je suis effrayée et choquée. Malheureusement, cela confirme exactement ce que nous voyons toujours de la part d’Amazon. Les pratiques de destruction de marchandises neuves et de retours semblent se dérouler partout de la même manière, même sur vos images, sur différents sites », déclare Wohlgemuth à Business Insider.

Ce n’est plus « destroy », mais « remove ».

« C’est une telle moquerie quand je vois ensuite : La seule chose qui semble avoir changé, c’est que ça ne s’appelle plus ‘destroy’, mais ‘remove’. Et c’est tout ? Comment est-il possible qu’une multinationale soit autorisée à détruire tout simplement de telles ressources finies ? »

Selon Greenpeace, ce qui est piquant, c’est surtout l’affirmation d’Amazon de devenir meilleur en matière de recyclage. C’est notamment l’entreprise Retextil qui s’en charge pour le compte d’Amazon. Greenpeace a infiltré un étudiant infiltré dans l’entreprise. Sous le prétexte d’un travail de master, il a fouillé les lieux.

« Là, il a clairement vu que les textiles qui arrivent, qui sont encore bons, sont découpés pour que, et on le lui a dit très clairement, ils ne puissent justement plus être mis en circulation. Ils préfèrent accepter de payer pour que ces marchandises soient détruites à la main avant d’être recyclées », explique Wohlgemuth.

L’étudiant a demandé pourquoi Retextil découpait la marchandise. Les responsables lui ont répondu que l’entreprise voulait exclure que la marchandise soit remise en vente, au pire sur le marché aux puces.

Business Insider a envoyé à Retextil une liste de questions sur ces accusations. L’entreprise n’a pas répondu.

Selon les collaborateurs d’Amazon, le traitement des marchandises retournées, même s’il est encore totalement nouveau, pose un problème essentiel : le don. Aujourd’hui, une taxe est en effet encore prélevée sur les dons de marchandises. Il est donc nettement plus coûteux pour des groupes comme Amazon de faire don de la marchandise, mais beaucoup moins cher de la détruire. La différence de prix est particulièrement flagrante lorsqu’il s’agit de groupes mondiaux comme Amazon et des quantités de produits qu’ils vendent. Greenpeace reproche donc à Amazon : « Nous constatons qu’il est possible de gagner de l’argent en détruisant des produits neufs, que cette catastrophe quotidienne à laquelle nous assistons se poursuit tout simplement. Chaque jour, sans que le gouvernement fédéral n’intervienne », déclare Wohlgemuth.

Nous avons interrogé le ministère fédéral des Finances compétent. Une porte-parole affirme que son établissement a déjà élaboré l’année dernière avec les autorités financières des Länder une « réglementation en matière de TVA » pour faciliter les dons en nature, qui abaisse la TVA sur la plupart des dons, et la supprime même dans certains cas.

« Une suppression complète de l’imposition sur le chiffre d’affaires des dons en nature n’est pas possible en raison des dispositions contraignantes du droit de l’Union », explique la porte-parole. Son entreprise est toutefois en contact avec la Commission européenne afin de « clarifier les marges de manœuvre prévues par le droit de l’Union pour des allègements supplémentaires de certains dons en nature ».

Qu’apporte une nouvelle loi du ministère de l’environnement ?

Mais il n’y a pas que les dons. Il y a environ quatre ans, le ministère fédéral de l’Environnement a renforcé la loi sur la gestion du recyclage afin d’endiguer justement ce type de destruction massive. Nous avons posé la question au ministère de l’Environnement, où l’on se montre satisfait de soi. « Le simple fait que l’obligation de prendre soin des déchets figure dans la loi allemande sur la gestion du recyclage a déjà fait changer d’avis certaines entreprises », explique une porte-parole.

Selon la porte-parole, les entreprises devront à l’avenir, par exemple, organiser le stockage, le transport et le traitement des retours entrants de manière à ce que les marchandises restent utilisables le plus longtemps possible. Avec cette approche, on est « pionnier dans l’UE et dans le monde ».

« Personne n’est là pour contrôler Amazon »

De nombreux employés d’Amazon critiquent le fait que la loi ne sert à rien. « A mon avis, c’est parce que la loi n’est pas appliquée, qu’il n’y a personne pour contrôler Amazon et regarder de près. Je n’ai encore jamais vu quelqu’un ouvrir les bacs de destruction et regarder à l’intérieur pour se faire montrer ce qui est détruit. Et surtout, se faire expliquer pourquoi cela est détruit ».

La loi sur l’économie circulaire est édentée, s’accordent à dire les employés d’Amazon. En effet, le gouvernement fédéral n’a pas encore veillé à ce que les infractions à la loi puissent être sanctionnées.

Le ministère de l’Environnement le reconnaît également : « Comme il n’existe actuellement aucun décret juridique pour la mise en œuvre du devoir de garde, aucune amende ne peut être infligée en cas de destruction de marchandises ». Manque de contrôles et pas d’amendes. C’est ainsi que des retours et des marchandises neuves d’Amazon continuent de finir en masse à la poubelle.