« La mise en œuvre est essentielle »

La conférence de l’ONU sur la protection de la haute mer comporte encore quelques points de discorde. Dans une interview, la ministre de l’Environnement Lemke se montre néanmoins optimiste quant à la possibilité de parvenir à un accord. Mais ce qui est décisif, c’est la mise en œuvre ultérieure.

: Madame Lemke, quand nous parlons de la haute mer, de quoi parlons-nous ?

Steffi Lemke : Nous parlons d’un domaine pour lequel il n’existe jusqu’à présent pratiquement aucun facteur de protection de l’environnement marin. C’est-à-dire la haute mer, où nous n’avons actuellement que la convention des Nations unies sur le droit de la mer pour la navigation par exemple.

Et maintenant, la communauté internationale négocie pour fixer pour la première fois des objectifs de protection contraignants pour la haute mer et pour établir des règles de protection contraignantes dans le cadre des Nations unies. Ce serait une avancée historique si l’on y parvenait.

« Nous parlons d’un domaine où il n’existe jusqu’à présent pratiquement aucun facteur de protection du milieu marin », Steffi Lemke, ministre fédérale de l’Environnement

tagesschau24 13:00 heures, 27.2.2023

Peu de règles jusqu’à présent

: Pourquoi n’y a-t-il pas encore de réglementation dans ce domaine ?

Lemke : C’est un territoire très vaste. Si nous considérons l’étendue des océans qui recouvrent la Terre, il s’agit d’une zone presque inimaginable. Il est en fait relativement difficile d’y établir des règles de protection. Au cours des dernières décennies, les Nations unies se sont mises d’accord sur des règles pour la navigation. Nous discutons également de la question de savoir si l’exploitation minière en eaux profondes doit être autorisée. Le gouvernement fédéral est d’avis qu’il ne faut pas le faire tant que nous n’avons pas de connaissances sur les dommages potentiels.

Et maintenant, il s’agit pour la première fois de pouvoir définir des zones protégées, ce qui n’était jusqu’à présent possible que dans les mers côtières ou dans la zone économique exclusive des pays concernés. Et maintenant, en haute mer, la technologie satellitaire nous permet pour la première fois de surveiller de telles réglementations contraignantes.

« Les mers du monde sont essentielles à notre survie ».

: Que sait-on de la haute mer et aussi de la mer profonde ? Pourquoi la protection y est-elle si importante ?

Lemke : Parce que les océans en général sont d’une importance essentielle pour nous. Elles sont essentielles à notre survie, à la production d’oxygène, mais aussi et surtout à la régulation du climat. Et bien sûr, elles sont un très grand refuge de biodiversité, que nous ne connaissons pas encore en mer profonde et que nous n’avons pas encore étudiée.

Et la question de savoir si nous atteindrons l’accord de Montréal – en décembre dernier, il a été convenu dans l’accord mondial sur la protection de la nature de placer 30 % des mers du monde sous protection – dépend également de la conclusion de cet accord sur la protection des hautes mers, sur lequel la communauté internationale devrait alors s’engager de manière contraignante.

D’importantes questions de détail

: Pour l’instant, il semble que les négociations soient un peu au point mort. Il s’agit par exemple de savoir quand qui va vérifier si certaines choses nuisent à la haute et à la basse mer. Où en sont les négociations sur ces points ?

Lemke : Les négociations sont en cours depuis plusieurs années et ont été très fortement retardées par Corona – comme de nombreux autres accords internationaux. C’est pourquoi je me réjouis que ce cycle de négociations se déroule maintenant en tout cas à New York et qu’il permettra, je l’espère, de faire une percée ou du moins de faire de nombreux pas en avant.

La situation géopolitique n’est pas devenue plus facile pour de tels accords. Mais si je regarde le fait que l’accord mondial sur la protection de la nature a pu être conclu à Montréal, j’espère aussi que nous ferons de grands pas en avant sur les questions de détail – comment les mécanismes de protection sont mis en place, comment le contrôle est effectué, quelle institution prend effectivement en charge le contrôle et comment le financement est effectué – qui permettront de percer à la fin de la journée.

« Un nouveau départ pour la protection de la haute mer »

: Quelle est donc la position de l’Allemagne ? Qui doit protéger les eaux profondes et la haute mer et quand ?

Lemke : Le plus important pour moi est que nous parvenions à un accord contraignant auquel le plus grand nombre possible d’États adhéreront. Pour l’instant, je suis très confiant quant au nombre d’États. Et nous devrions alors mettre en place un mécanisme de protection qui, à l’instar de l’accord sur la protection du climat ou de l’accord mondial sur la protection de la nature, surveillerait les règles et leur respect et les mettrait en œuvre.

Nous en sommes encore beaucoup plus loin que pour les accords sur le climat et la protection de la nature. Cela signifie qu’un nouveau départ pour la protection de la haute mer serait nécessaire si nous parvenions à conclure l’accord. Et l’institution devrait alors être mise en place dans le cadre des Nations unies. Mais pour cela, il existe de nombreux processus d’expérience. L’essentiel est de parvenir à une percée politique. Les réglementations techniques ne sont alors pas une affaire de sorcellerie.

Le nerf de la guerre : les finances

: Un autre point de discorde semble être la gestion des ressources génétiques marines. Cela signifie que si des médicaments sont par exemple extraits d’organismes marins, les pays pauvres exigent une compensation financière si les nations industrielles en tirent des bénéfices. Quelle est la position de l’Allemagne à ce sujet ?

Lemke : C’est en général un point de discussion toujours difficile en ce qui concerne la question de l’utilisation de la nature dans les accords internationaux, même pour les zones protégées sur terre. Dans le cas de l’accord de Montréal, c’était également l’un des principaux points de discussion. Les préoccupations des pays dont la biodiversité est particulièrement riche sont bien sûr tout à fait justifiées, et nous avons négocié à Montréal un engagement financier supplémentaire à cet égard.

Et là aussi, les pays qui profitent le plus de ces développements verseraient alors des compensations par le biais d’un fonds – il existe déjà des instruments de financement à cet effet. La question est de savoir s’il y a la volonté politique de mettre à disposition une somme suffisamment élevée pour cela. Mais si nous voulons que la nature soit protégée et moins polluée que par le passé, nous avons besoin d’une compensation globale.

« Je suis confiant pour le moment »

: Quelle est donc, selon vous, l’ampleur de la volonté politique ?

Lemke : Je pense qu’il s’est nettement accru ces dernières années, car nous avons entre-temps de plus en plus de connaissances sur le fait que l’océan est incroyablement important pour la régulation du climat et qu’il a donc besoin d’être protégé. D’autre part, les exigences d’utilisation sont devenues plus importantes et s’étendent davantage au-delà des frontières nationales des États respectifs, de leurs eaux côtières et de leur zone économique exclusive, jusqu’à la haute mer. On tente d’y développer toujours plus d’utilisations. L’exploitation minière en eaux profondes est l’un de ces domaines.

C’est pourquoi il est devenu clair que nous avons besoin de règles, et qu’il ne suffit pas de réglementer la navigation, mais que nous devons aussi réglementer des utilisations qui vont au-delà. Et le fait que Montréal ait réussi malgré la situation géopolitique difficile, que les États aient dit : ‘Nous voulons mieux protéger la nature dans le monde entier’, me rend tout d’abord confiant dans le fait que nous pouvons au moins faire de grands pas en avant dans ce domaine, parce que l’humanité comprend que nous utilisons la nature au moins sur la base de règles, parce que sinon, cela reviendrait à la loi du plus fort.

La mise en œuvre est importante

: Les négociations de Montréal ont été très difficiles. Des conférences aussi gigantesques sont-elles encore efficaces ?

Lemke : Si je prends Montréal comme exemple, définitivement oui. Une grande avancée y a été réalisée. Il a été établi que l’utilisation des pesticides devait être réduite au niveau mondial et que les subventions nuisibles à l’environnement devaient être supprimées.

Et il y avait aussi des pays industrialisés, il y avait la Chine, qui était le leader des négociations, et l’Inde, donc aussi des pays émergents qui sont en train de se développer très fortement. Et pourtant, ces objectifs de protection forts ont été fixés. C’était une percée historique, comparable à l’accord de Paris pour la protection du climat.

La question décisive est de savoir si les pays vont maintenant effectivement le mettre en œuvre dans le cadre de leur responsabilité nationale. Cela ne signifie pas tant l’engagement international en faveur de la protection, mais la mise en œuvre nationale dans la réalité. Et c’est là que le bât blesse, tant pour la protection du climat que pour la protection de la nature.

Mais cela relève aussi de notre responsabilité. C’est la raison pour laquelle nous nous battons au sein du gouvernement fédéral pour faire avancer la protection de la nature et la protection du climat. C’est pourquoi je pense que le niveau de négociation international est un soutien pour ce que nous devons effectivement mettre en œuvre en tant que gouvernements dans les pays respectifs.

Une mise en œuvre difficile

: Mais ne serait-il pas plus judicieux que les Etats industrialisés ou les pays riches comme l’Allemagne prennent des mesures encore plus claires ?

Lemke : Oui, je suis d’accord avec vous. Nous l’avons fait pour la protection de la nature et pour la protection du climat dans de nombreux domaines. Nous entraînons ainsi d’autres pays avec nous. Mais nous avons maintenant la responsabilité, tant en matière de protection du climat que de protection de la nature, de mettre en œuvre nos propres objectifs en Allemagne, de respecter les objectifs de protection du climat et les objectifs de biodiversité.

Et nous nous heurtons alors, comme presque toujours dans ce genre de choses, aux limites de ce qui est politiquement possible, même dans une coalition gouvernementale, dans laquelle nous sommes dans un État fédéral. Les communes doivent être impliquées, les communautés, les citoyens doivent être impliqués. C’est la difficulté de mettre tout cela en œuvre après la décision internationale.

Il faut aller plus vite

: De nombreux scientifiques affirment à présent que la fenêtre d’opportunité pour ce travail précis n’est plus ouverte très longtemps. Qu’en dites-vous ? Quel rythme faudrait-il alors adopter pour y parvenir ?

Lemke : Nous avons donné un coup d’accélérateur à ce niveau, tant avec le programme d’action pour la protection naturelle du climat, avec lequel nous mettons maintenant pour la première fois en Allemagne des sommes financières vraiment importantes à disposition pour la protection de la nature et la renaturation. Nous voulons engager quatre milliards au cours des quatre prochaines années, c’est un changement de paradigme pour la protection de la nature en Allemagne.

Et nous avons entre-temps également supprimé les freins au développement des énergies renouvelables et sommes en train de faire des pas en avant très importants, tant pour l’énergie éolienne que pour l’énergie photovoltaïque.

On remarque que d’autres décisions politiques que celles prises par les gouvernements précédents sont en train d’être prises. Mais cela fait maintenant un peu plus d’un an que nous sommes en fonction et nous n’avons bien sûr pas encore pu maîtriser tout ce qui a été négligé au cours des dernières années et décennies. C’est pourquoi il est important que les citoyennes et les citoyens puissent suivre le mouvement et qu’ensemble, nous parvenions à mettre en place de tels processus de transformation pour une meilleure protection de la nature et du climat. Et nous devons bien sûr préserver ce qui fait la force d’un site industriel comme l’Allemagne. Et cela est désormais en route avec la technologie de l’hydrogène, les énergies renouvelables pour la protection du climat et la renaturation pour la protection de la nature.