« Avant zéro, maintenant un peu plus haut »

Le président russe Poutine ne cesse de menacer d’utiliser des armes nucléaires. Le président américain Biden met en garde contre un « Armageddon ». Quelle est la probabilité d’un tel scénario à l’heure actuelle.

« Ce n’est pas du bluff » – ce sont les mots du président russe qui inquiètent de nombreuses personnes en Allemagne. Ils sont liés au fait que la guerre de Poutine ne va pas du tout dans son sens et que cela pourrait le pousser à une sorte d’acte de désespoir. L’allié tchétchène de Poutine, le seigneur de guerre Ramzan Kadyrov, a déjà ouvertement encouragé l’homme du Kremlin à utiliser des armes nucléaires tactiques sur le champ de bataille en Ukraine.

Kai Küstner

Pourtant, presque tous les experts en armes nucléaires sont d’accord : oui, le risque que Poutine fasse usage d’une arme nucléaire a augmenté – mais la probabilité n’est pas particulièrement élevée pour autant. « Avant, elle était nulle, maintenant elle est un peu plus élevée. Mais elle reste très faible », estime Moritz Kütt, spécialiste des armes nucléaires à l’Institut de recherche sur la paix et la politique de sécurité de l’université de Hambourg.

Même de petites armes auraient des conséquences incontrôlables

Il est quasiment exclu que Poutine puisse utiliser des missiles intercontinentaux, c’est-à-dire les « armes nucléaires stratégiques » qui pourraient théoriquement frapper Londres, Paris, Berlin ou New York. Les représailles des Etats-Unis et de l’OTAN seraient si massives qu’il pourrait en effet se produire cette « apocalypse » contre laquelle le président américain Joe Biden met désormais en garde.

Mais dès les premières semaines de la guerre, les milieux de la sécurité ont spéculé sur la possibilité que la Russie fasse exploser une petite arme nucléaire tactique sur le champ de bataille en Ukraine. Mais même cela ne rapprocherait pas Poutine de ses objectifs militaires : Une formation de chars largement dispersée sur la ligne de front ne pourrait pas être neutralisée avec une telle arme.

A cela s’ajouteraient des conséquences incontrôlables pour la Russie : Un nuage nucléaire dont on ne sait pas où il se déplace. Et un territoire contaminé où même les troupes russes ne pourraient plus se déplacer sans danger.

Conséquence possible : la Chine ou l’Inde se détournent de la Russie

En outre, le champignon atomique serait partagé dans les médias sociaux du monde entier et donc visible – mais justement aussi pour les soldats sur place : « Cela entraîne tout simplement une peur, où nous ne pouvons même pas imaginer ce que cela signifie pour les troupes : est-ce qu’elles s’enfuient toutes ? Cet effet ne peut pas être contrôlé et se produit de tous les côtés », explique le scientifique Kütt dans une interview avec le ARD-Hauptstadtstudio.

Mais surtout, le fait de briser un tabou en déclenchant pour la première fois une catastrophe nucléaire sur le sol européen au cours d’une guerre serait trop monstrueux pour que la plupart des gens puissent l’imaginer. On peut d’ailleurs se demander si les généraux de la chaîne de commandement russe auraient été d’accord.

Enfin, on s’attend à ce que des puissances comme la Chine ou l’Inde se détournent de Poutine. Poutine devrait donc aussi savoir que les inconvénients d’une intervention dépassent de loin les avantages – c’est du moins ce qu’on espère.

Les conditions techniques sont réunies

Il ne fait aucun doute que la Russie serait techniquement en mesure de lancer une attaque nucléaire : elle disposerait au total d’environ 1500 armes nucléaires stratégiques – utilisables en quelques minutes. Elle dispose également d’environ 2000 armes tactiques.

Cependant, explique l’expert nucléaire Kütt, ces ogives seraient stockées de manière centralisée et devraient ensuite être transportées vers leurs systèmes de lancement – avions ou missiles – au prix d’un certain nombre d’efforts. « Cela nécessite une logistique militaire que nous espérons pouvoir voir », explique Kütt. « Soit avec des satellites, soit avec des informations des services secrets ».

Cela signifie donc que l’Occident bénéficierait d’un certain délai de préalerte. Ce qui ne facilite pas la décision sur la manière de réagir en cas de problème. Or, c’est précisément sur ce point que l’équipe du Tigre, des experts en sécurité de l’entourage proche de Joe Biden, se creuse la tête depuis le début de la guerre.

Une éventuelle riposte incertaine

De nombreux éléments indiquent – pour l’instant en tout cas – que les Etats-Unis et l’OTAN riposteraient plutôt de manière conventionnelle, et non pas nucléaire de leur côté. « Ce serait tellement horrible qu’il devrait y avoir une réponse. Mais pas avec des armes nucléaires. On ne veut pas d’escalade nucléaire. Mais il faudrait montrer qu’une telle chose ne serait en aucun cas acceptable », a récemment spéculé David Petraeus, ex-général et ancien chef de la CIA, sur la chaîne ABC.

Les Occidentaux laissent délibérément planer le doute sur la nature exacte de cette réaction : les Etats-Unis et l’OTAN interviendront-ils dans la guerre en Ukraine ou feront-ils exploser une arme nucléaire ? Quoi qu’il en soit, le ministère américain des Affaires étrangères a laissé entendre que l’on avait bien fait comprendre à la Russie qu’elle aurait à craindre des « conséquences catastrophiques » si une arme nucléaire était utilisée.

C’est précisément cette incertitude quant à ce à quoi il devrait alors s’attendre qui doit donc empêcher le président russe de « penser à l’impensable ». C’est du moins ce qu’on espère.