« Le plomb est un matériau essentiel à notre métier », l’art du vitrail remis en question

Les maîtres verriers sont inquiets pour leur savoir-faire. L’Europe a engagé une procédure de classement du plomb, en raison de ses risques sanitaires, qui peut concourir à son interdiction. Visiter l’atelier Vitrail France, c’est un peu faire le tour de France des églises et des cathédrales. Saint-Denis, Longwy (Meurthe-et-Moselle), Rouen (Seine-Maritime)… et bientôt, Notre-Dame-de-Paris. Une partie des vitraux de la nef et du chœur arriveront sur les tables de travail cet automne pour y être restaurés.

Fondateur de cette entreprise de vingt salariés à Neuville-sur-Sarthe, près du Mans (Sarthe), Emmanuel Putanier parle avec passion du métier de vitrailliste. Le maître artisan et son équipe furent parmi les premiers au chevet des baies de Notre-Dame noircies par la suie et les fumées de l’incendie. Leur nettoyage in situ requiert un savoir-faire qu’une dizaine d’ateliers seulement partage en France.

« Le plomb est essentiel à notre métier »
Dans l’atelier France Vitrail à Neuville-sur-Sarthe, les artisans vitraillistes travaillent le plomb (un métal toxique et dangereux pour la santé) pour fabriquer et restaurer d’anciens vitraux. Le 7 juillet 2022. Ici sur la photo, l’artisan rabote du plomb. Alice Mouchard / Ouest-France

Or, depuis plusieurs mois, à l’instar des couvreurs spécialistes dans les monuments historiques, les vitraillistes traversent une crise existentielle. Leur métier est directement menacé. Un projet de l’agence européenne des produits chimiques (Echa) recommande le classement du plomb dans la liste des SVHC (Substance extrêmement préoccupantes) du Règlement européen sur les produits chimiques). La procédure européenne vise principalement l’industrie des batteries, des munitions et de la pêche…

Risque reconnu
Si la Commission européenne suit la recommandation de l’Echa, son usage pourrait bien être interdit d’ici trois à quatre ans en Europe, sauf à disposer d’une autorisation onéreuse et très stricte. « Or, le plomb est l’un des matériaux essentiels à nos métiers. Les profilés sont utilisés pour sertir les pièces de verre depuis l’époque médiévale, décrit Emmanuel Putanier. Ce métal est reconnu pour ses qualités de malléabilité et de flexibilité incomparables. Sa résistance et sa durabilité ont fait leur preuve à travers les siècles. »

Le vitrailliste précise bien être « parfaitement conscient de la dangerosité du plomb. Nos salariés sont équipés de protections (masques à cartouches, combinaisons, gants…), ils travaillent sous hottes aspirantes fixes et mobiles. Les protocoles prévoient le contrôle de la plombémie (dosage du plomb dans le sang), des douches et des vestiaires dédiés, le lavage des tenues, des zones de travail blanches… Nous travaillons également en lien constant avec la Carsat (santé au travail) et l’Agence régionale de santé. »

« Le risque sanitaire (le saturnisme, l’intoxication au plomb) n’est pas négligeable ni négligé dans nos entreprises », renchérit le maître verrier Bruno Loire à Chartres, représentant de la profession au GMH (Groupement des monuments historiques). Mais qu’en est-il dans les petits ateliers ? « Lorsque l’on manipule des vitraux anciens, le plomb se retrouve à l’état de poussière, souligne Alexis Ferron. Bien sûr, je prends les précautions d’hygiène et de sécurité : gants, masques et plombémie chaque année. » L’artisan rennais propose à sa clientèle une alternative, des compositions serties au cuivre selon la méthode Tiffany. Mais le rendu n’est pas le même…