Le gaz à travers les Pyrénées : comment le gazoduc Midcat pourrait diviser l’Europe – Economie

Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas vu Emmanuel Macron aussi habillé. Lundi encore, le président français, vêtu d’un pull noir à col roulé, était apparu très décontracté à la chancellerie. Mais la décontraction n’était plus de mise à Paris. Lors d’une conférence de presse, il n’a répondu que du bout des lèvres aux questions sur les projets réactivés de l’Allemagne et de l’Espagne de construire un pipeline à travers les Pyrénées françaises.

Car Macron ne veut pas de ce pipeline. « Je ne suis pas convaincu que nous ayons besoin de plus de liaisons gazières » pour résoudre la crise actuelle, avait-il déjà rétorqué lundi à Olaf Scholz (SPD). Et d’une manière inhabituellement cinglante, il a déclaré en direction de l’Espagne : « Je ne vois pas pourquoi nous devrions sauter de haut en bas sur ce sujet comme des grives des Pyrénées ».

Il s’agissait sans doute d’une réplique aux critiques de plus en plus virulentes en Espagne. Les commentateurs y dénoncent le « verrou français » et le « manque de solidarité » de la France en matière d’énergie. Toutes sortes de ressentiments y sont réchauffés, qui remontent loin dans l’histoire, ce qui ne devrait pas déplaire au dirigeant russe Vladimir Poutine. La question du gaz et de sa provenance ne fait pas seulement des remous en Allemagne. Elle commence également à creuser un fossé entre les pays européens.

L’Allemagne et l’Espagne semblent toutefois déterminées à convaincre encore la France de construire le gazoduc. L’Allemagne a besoin de gaz, l’Espagne en a plus qu’elle n’en a besoin, seule la France, en tant que pays de transit, devrait encore donner son accord. « Je plaide expressément pour la création de cette liaison », a déclaré Scholz. Plusieurs membres du cabinet se sont rendus mercredi à La Corogne pour des consultations gouvernementales.

Le pipeline s’arrête pour l’instant au milieu de nulle part

Depuis des mois, le gouvernement espagnol fait campagne pour la poursuite du projet abandonné. L’idée de l’oléoduc dit Midcat remonte au début des années 2000, sa construction a commencé il y a une bonne dizaine d’années. En Espagne, le tube est construit jusqu’à Hostalric à 106 kilomètres au sud de la frontière, en France, il manque encore environ 120 kilomètres. A l’origine, il devait aller jusqu’à Carcassonne, dans le sud de la France. En 2017, le projet a toutefois été abandonné en raison d’un manque de rentabilité, mais aussi d’un manque d’intérêt de la France. Les défenseurs de l’environnement ont également émis des réserves jusqu’à aujourd’hui. La ligne se termine à Gérone, dans le nord de l’Espagne – au milieu de nulle part.

Plan du gazoduc Midcat
(Photo : SZ-Karte/Mapcreator.io/HERE/El Mundo, recherche personnelle)

Du point de vue de l’Allemagne et de l’Espagne, l’arrêt des livraisons de gaz par la Russie modifie désormais l’urgence du projet. Jusqu’à présent, deux gazoducs traversent les Pyrénées et relient l’Espagne au reste de l’Europe. Leur capacité est d’à peine sept milliards de mètres cubes par an, mais ils n’ont pas été utilisés à pleine capacité par le passé. A titre de comparaison, Nord Stream 1 transporte 55 milliards de mètres cubes par an. Midcat pourrait permettre l’exportation de 7,5 milliards de mètres cubes de gaz supplémentaires par an, doublant ainsi la capacité actuelle de l’Espagne.

En outre, l’Espagne dispose non seulement d’une connexion directe au gaz algérien, mais aussi d’une infrastructure importante pour la réception de gaz naturel liquéfié (GNL). Les côtes espagnoles et portugaises abritent un grand nombre des terminaux GNL européens, où le gaz naturel liquéfié est transformé en gaz et transporté. Six installations se trouvent en Espagne et une septième est en cours de construction, soit le nombre le plus élevé d’Europe. L’Espagne concentre à elle seule 34 % de la capacité européenne de transformation du GNL en gaz. Du point de vue français, la solidarité espagnole envers l’Allemagne cache aussi l’ambition du pays de s’affirmer comme l’un des acteurs clés de la refonte du marché européen de l’énergie.

Approvisionnement en gaz : Centre de transport de gaz à Hostalric

Voilà à quoi ressemble le centre de transport de gaz à Hostalric, où se termine le gazoduc Midcat. En France, il manque encore environ 120 kilomètres.

(Photo : —/dpa)

Selon le Premier ministre Pedro Sánchez, le gazoduc Midcat « concerne la sécurité d’approvisionnement européenne ». L’Espagne pourrait devenir une plaque tournante pour l’exportation de gaz liquéfié et se transformer en « alternative au gaz russe pour de nombreux pays de l’UE ». La France devrait donc « abandonner son opposition » au projet. Macron, quant à lui, affirme ne pas voir d’arguments convaincants en faveur de ce projet de plusieurs milliards d’euros. La construction de Midcat prendrait trop de temps pour atténuer la crise énergétique qui menace aujourd’hui avec le gaz liquide. Il serait également trop coûteux pour la France et irait à l’encontre des efforts de transition vers une économie verte.

La France veut aussi se positionner comme exportateur de gaz

Selon l’agence de presse Reuters, des représentants du gouvernement en Espagne et en Allemagne auraient en revanche affirmé que la France souhaitait avant tout protéger sa propre industrie nucléaire moribonde et repousser la concurrence de l’Espagne en tant qu’intermédiaire pour le gaz importé. « Macron subit chez lui la pression de différents groupes qui n’aiment pas le projet de gazoduc. Le plus grand est certainement le secteur nucléaire », aurait déclaré une source gouvernementale allemande de haut rang à Reuters.

Le chancelier allemand Olaf Scholz et le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez

« Nous n’avons pas l’impression que cela soit exclu » : le chancelier allemand Scholz (à gauche) et le Premier ministre espagnol Sánchez veulent encore convaincre la France de construire le gazoduc pyrénéen.

(Photo : Miguel Riopa/AFP)

Macron fait en outre référence à un accord avec l’Allemagne selon lequel la France fournit du gaz à la République fédérale et reçoit en contrepartie de l’électricité pour combler le vide créé par l’arrêt nécessaire de ses centrales nucléaires en partie obsolètes. Le volume convenu devrait correspondre à environ deux pour cent des besoins en gaz de l’Allemagne. La France souhaite également se positionner en tant qu’exportateur de gaz en Europe. « La France dispose de terminaux méthaniers capables de traiter le gaz pour toute l’Europe », selon une source gouvernementale française. Comme l’a souligné à plusieurs reprises Emmanuel Macron, le nucléaire doit toutefois rester la priorité de la France en matière d’approvisionnement énergétique.

Reste à savoir dans quelle mesure Midcat pourrait utiliser l’Allemagne. Josep Nuart, porte-parole d’une ONG espagnole opposée à sa construction, affirme que cette infrastructure « ne sert pas à garantir la sécurité énergétique ». Selon lui, elle ne remplace « que trois pour cent du gaz importé de Russie en 2021 ». Le gazoduc ne servirait donc pas à mettre fin, même de loin, à la dépendance énergétique vis-à-vis de pays extérieurs à l’UE. De plus, il ne ferait que créer de nouvelles dépendances vis-à-vis d’Etats « qui ne respectent pas les droits fondamentaux, comme l’Algérie ou le Qatar ». A cela s’ajoutent les coûts pour le reste de la construction, estimés à plus de 440 millions d’euros, pour un total d’environ trois milliards d’euros.

En revanche, Scholz affirme dès le mois d’août que le gazoduc pyrénéen pourrait « contribuer massivement à soulager et à détendre la situation en matière d’approvisionnement ». Compte tenu de la crise climatique, le gaz naturel ne doit toutefois être transporté que le temps nécessaire. Ensuite, c’est l’hydrogène vert qui devrait circuler dans le gazoduc Midcat.

Le gouvernement de Madrid a également déjà des plans pour le cas où la France continuerait à s’opposer au Midcat. Les gestionnaires de réseaux de gaz espagnols et italiens ont déjà étudié la construction d’un gazoduc reliant Barcelone à la ville portuaire italienne de Livourne. Coût : près de trois milliards d’euros.