Une réforme « brutale » des retraites ?

En France, les syndicats ont de nouveau appelé à des grèves nationales. Pourquoi la protestation contre le projet de réforme des retraites est-elle si virulente – et est-elle aussi « brutale » que le disent ses détracteurs ?

Pour de nombreux parents en France, la journée risque d’être une nouvelle fois éprouvante. En effet, une grande partie des crèches et des écoles maternelles sont fermées en raison de la grève. « Eh bien, nous nous y sommes malheureusement habitués – il faut être flexible. Soit ma partenaire ou moi devons prendre un jour de congé. Ou faire du télétravail – mais ce n’est vraiment pas très productif », dit un père.

Carolin Dylla

Les effets de la grève devraient également se faire sentir dans les transports publics : La SNCF et la RATP annulent de nombreuses liaisons. Environ 200 actions de protestation sont annoncées aujourd’hui dans toute la France. Les syndicats comptent sur le fait que les grèves et les manifestations seront encore plus importantes que celles d’il y a environ une semaine et demie – lorsque, selon le ministère de l’Intérieur, environ 1,1 million de personnes étaient dans les rues.

Dispute sur l’âge de la retraite

« Notre système de retraite, basé sur la redistribution, n’est pas en danger. Rien ne justifie une réforme aussi injuste et brutale. Les organisations syndicales appellent ensemble toutes les personnes en France à se joindre aux manifestations du 31 janvier contre cette réforme injuste », dit Philippe Martinez, secrétaire général de la confédération syndicale CGT. Pour les syndicats, l’âge de départ à la retraite n’est pas à l’ordre du jour, le relèvement prévu est un chiffon rouge pour eux. Partir plus tard à la retraite et cotiser un an de plus sont pourtant deux points centraux de la réforme sur lesquels le gouvernement n’est pas prêt à céder.

« La tension du réseau électrique a également baissé », Friederike Hofmann, ARD Paris, à propos des nouvelles grèves contre la réforme des retraites en France

tagesschau 12:00, 31.1.2023

Le Premier ministre Elisabeth Borne a visiblement jugé nécessaire de taper verbalement du poing sur la table à ce sujet ce week-end : « La retraite à 64 ans n’est plus négociable. Pas plus que les 43 ans de cotisation pour avoir des droits complets à la retraite. C’est notre proposition de compromis, après avoir consulté les organisations patronales, les syndicats et également les partis représentés au Parlement », a déclaré Borne.

Un système de retraite généreux ?

Pour le gouvernement, la menace d’un déséquilibre financier du système de retraite était et reste l’un des principaux arguments en faveur de la réforme. En fait, le système français est comparativement généreux, explique Monika Queisser. Elle dirige le département de politique sociale de l’OCDE à Paris.

« Les dépenses du système de retraite français dans son ensemble représentent un peu plus de 14 pour cent du produit intérieur brut. C’est le troisième plus cher après l’Italie et la Grèce. C’est bien sûr une question politique – chaque pays peut décider lui-même du montant qu’il souhaite consacrer aux retraites. Mais s’il s’agit d’un système de répartition, il est bien sûr clair que cela doit être financé par les générations actives », explique Queisser.

La peur de la discrimination par l’âge

Parallèlement, il existe en France une double condition pour bénéficier d’une retraite à taux plein : l’âge de départ à la retraite – et le nombre d’années de cotisation. Avec la réforme, le nombre d’années de cotisation doit passer à 43. Cela signifie que les personnes ayant commencé à travailler à 25 ans devront travailler jusqu’à 68 ans pour toucher une retraite complète. Mais dans les faits, de nombreuses personnes quittent leur emploi bien plus tôt, à savoir à un peu plus de 60 ans, explique l’experte de l’OCDE Queisser.

Cela est également dû à un manque de respect envers les travailleurs âgés : « L’expérience des Français est souvent qu’on n’est pas bien traité en tant que travailleur âgé. On est souvent discriminé lorsqu’on se retrouve au chômage après 50 ans. C’est pourquoi de nombreuses personnes dans ce pays craignent que le relèvement de l’âge de la retraite n’ait pour seul effet de prolonger leur période de chômage et de les exposer à un risque de pauvreté », explique Queisser.

7000 amendements

Depuis lundi, le projet de réforme est examiné par la commission des affaires sociales du Parlement. En début de semaine prochaine, la réforme des retraites passera en séance plénière à l’Assemblée nationale. Avant la réunion de la commission, environ 7000 amendements ont été déposés, dont 6000 par l’alliance de gauche « Nupes ». Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, parle d’un blocage systématique.

« 7000 amendements : Ce n’est pas raisonnable. Pour moi, c’est comme s’il n’y avait aucun intérêt pour un débat démocratique. Il s’agit plutôt de créer le chaos », a déclaré Darmanin.

Le ton acerbe est en partie une fuite en avant : car il n’est pas certain que la réforme trouve une majorité au Parlement. Le gouvernement et le président Emmanuel Macron sont tributaires des voix de l’opposition « Les Républicains » – dont certains émettent de grandes réserves sur le projet. Même dans le camp du gouvernement, des voix s’élèvent pour exprimer leur scepticisme vis-à-vis de la réforme des retraites.