Une déchirure personnifiée au sein du parti

Samedi, la politicienne de gauche Wagenknecht appelle à une manifestation pour la paix à Berlin. De nombreux camarades l’ignoreront probablement, tandis que la droite écoutera attentivement. L’initiatrice semble s’en moquer.

Sahra Wagenknecht est habituée à ce qu’on fasse attention à elle. Dans ce sens, le coup de tonnerre médiatique déclenché par son « Manifeste pour la paix » n’est pas une surprise pour elle. Sa notoriété est sa marque, sa présence dans les talk-shows sa monnaie d’échange politique.

Kerstin Palzer

Pour quelqu’un comme Wagenknecht, une interview dans le « Spiegel » ou une visite chez Maischberger ou Lanz est désormais plus facile qu’un discours au Bundestag. En effet, en tant que députée de son groupe parlementaire, elle est régulièrement en difficulté. La majorité du groupe parlementaire de gauche ne soutient plus depuis longtemps la politicienne la plus populaire du Parti de gauche.

Wagenknecht est la fissure personnifiée qui traverse le parti Die Linke. Il suffit de regarder qui a signé le « Manifeste pour la paix » qu’elle a initié avec Alice Schwarzer pour s’en rendre compte. La co-présidente du groupe parlementaire de gauche au Bundestag, Amira Mohamed Ali, l’a signé peu après sa parution, mais son co-chef, Dietmar Bartsch, ne l’a pas fait. Gregor Gysi l’a signé, les deux présidents du parti, Wissler et Schirdewan, ne l’ont pas signé. Et le directeur fédéral du Parti de gauche, Tobias Bank, a déclaré très clairement lors d’une conférence de presse lundi : « Nous n’avons pas fait nôtre cet appel en tant que comité directeur du parti après une consultation intensive ».

Les décisions du parti sont quelque peu indifférentes à Wagenknecht

Sur le fond, la déchirure entre la direction du parti et le manifeste de Wagenknecht est que ce dernier n’exige pas que la Russie retire ses troupes d’Ukraine. Or, il existe à ce sujet une décision du comité directeur du parti datant du 16 février de cette année, et dans laquelle il est écrit : « Nous soutenons le droit à l’autodéfense de l’Ukraine et exigeons le retrait immédiat des troupes russes ». De telles résolutions sont quelque peu indifférentes à Wagenknecht. De son point de vue, il n’y aura de fin à la guerre que si l’Ukraine garantit la neutralité et qu’il n’y a plus de bases militaires sur le territoire ukrainien.

La guerre en Ukraine est devenue, au plus tard avec ce manifeste, une nouvelle fissure au sein du Parti de gauche. Le parti se considère comme un parti de la paix, la colombe de la paix est un symbole volontiers adopté sur les affiches électorales.

39 pour cent approuvent dans les sondages le « Manifeste pour la paix » rédigé par Sahra Wagenknecht et Alice Schwarzer.

Image : dpa

Wagenknecht veut reconquérir les électeurs de l’AfD

Wagenknecht appelle maintenant à une manifestation samedi à Berlin, sous le slogan « Soulèvement pour la paix », et il est assez clair que beaucoup de membres de son parti ne viendront pas, de manière démonstrative. Cela a aussi à voir avec le fait que le manifeste, la manifestation, mais en général tout ce que Wagenknecht dit publiquement, est toujours une main tendue vers ceux qui ont jusqu’à présent sympathisé avec l’AfD.

Elle veut reconquérir les électeurs de l’AfD et mobiliser les non-votants. Lorsqu’on la confronte à des citations de politiciens de l’AfD qui disent presque mot pour mot la même chose qu’elle sur la guerre en Ukraine, elle hausse les épaules et dit que cela ne lui pose aucun problème si ce qui est dit est vrai. Dans son livre « Die Selbstgerechten », publié en 2021, elle écrivait déjà : « Les partis de droite sont les nouveaux partis ouvriers ». Et déjà à l’époque, il était clair qu’elle voulait changer cela avec sa politique.

Des membres du Parti de gauche prennent leurs distances

Dans cette mesure, le fait que le président du groupe parlementaire de l’AfD, Tino Chrupalla, ait signé le manifeste n’est pas un problème pour Wagenknecht. Et la déchirure se poursuit. La prochaine manifestation à Berlin, à laquelle Wagenknecht et Schwarzer ont appelé, ne sera pas suivie par les deux présidents de Die Linke, et de nombreux autres membres du parti de gauche se distancient également.

L’ancien président du parti (et soutien de Wagenknecht) Klaus Ernst rétorque à cela : « Si maintenant la gauche organise délibérément d’autres manifestations et se distancie ainsi de la plus grande action pour la paix depuis des années, cela montre seulement que la gauche a fait ses adieux en tant que partie du mouvement pour la paix ».

Wagenknecht veut-elle fonder son propre parti ?

Pour le rassemblement, Wagenknecht demande que l’on renonce « aux drapeaux de parti et aux drapeaux nationaux de toutes sortes ». Cela signifie également qu’il ne s’agira pas d’une manifestation du Parti de gauche. Il y a longtemps que Wagenknecht n’attend plus de soutien de la part de ce parti que l’on peut difficilement qualifier de « son parti ». C’est un secret de polichinelle qu’elle envisage de fonder son propre nouveau parti.

Le manifeste et la manifestation sont donc, même pour les observateurs critiques, un test pour savoir combien de personnes une « politique Wagenknecht » pourrait mobiliser. Le politologue Manfred Sapper l’exprime ainsi : « Mme Wagenknecht est une politicienne nationaliste de gauche qui se situe à droite sur la question des réfugiés, mais aussi sur la question de la guerre ou de la paix en Ukraine. Elle sonde le soutien qu’elle peut obtenir à droite ».

39 pour cent approuvent le « Manifeste pour la paix

Dans les sondages et les résultats électoraux, le Parti de Gauche (Die Linke Partei) se morfond depuis des années autour de la dangereuse barre des 5 %. Lors des congrès du parti, la distance par rapport à la politique de Wagenknecht est perceptible et se reflète dans les décisions. Mais à la base, la situation est différente. Dans un sondage récent réalisé par INSA, 39 % des personnes interrogées approuvent le « Manifeste pour la paix ».

En Allemagne de l’Est, une personne sur deux trouve cette position de Wagenknecht bonne. Ce sont des chiffres qui donnent le vent en poupe à quelqu’un comme Wagenknecht. La manifestation de samedi sera donc aussi un indice pour savoir si Wagenknecht voit suffisamment de soutien pour un nouveau parti et si elle s’attaque à une nouvelle fondation. Le profil serait déjà clair : gauche conservatrice.