Ange déchu : « Le plus beau garçon du monde » au cinéma – Culture

La rencontre entre le célèbre réalisateur italien et le plus beau garçon du monde est immortalisée sur pellicule. Elle a lieu un jour d’hiver glacial de février 1970, dans une suite luxueuse de Stockholm. Luchino Visconti est en train de faire des essais pour « La mort à Venise », son adaptation cinématographique de la célèbre nouvelle de Thomas Mann. Depuis des années, le cinéaste cherche l’acteur qui interprétera le rôle de Tadzio, le jeune homme aux yeux bleus et aux cheveux blonds comme le miel. Le compositeur von Aschenbach, personnage principal du film, doit découvrir en lui la beauté absolue, et le signe avant-coureur de sa propre mort.

C’est alors qu’entre dans la pièce, devant la caméra, Björn Andrésen, âgé de quinze ans. Il a grandi sans parents chez sa grand-mère, qui l’a également inscrit au casting. Visconti lui fait enlever le haut et prendre des photos. Il est sous le charme. Il a trouvé son Tadzio.

C’est par ces enregistrements que Kristina Lindström et Kristian Petri commencent « Le plus beau garçon du monde », leur documentaire sur Andrésen. Coupe au présent – des yeux bleus des essais de Stockholm à la flamme bleue du gaz dans l’appartement d’Andrésen. Andrésen, barbu, fumeur à la chaîne et émacié, est une épave. Sa petite amie présente un tapis empesé qu’elle a posé sur le balcon. Sa propriétaire menace de l’expulser.

Saut dans le passé. Le tournage, reconstitué à partir de films amateurs et de reportages télévisés, a lieu pendant les vacances scolaires d’Andrésen à Venise. Visconti est un maître absolu et arrange le jeune homme à sa guise. « Marche, arrête-toi, tourne-toi, souris ». Ce sont, racontera plus tard Andrésen, les seules instructions de mise en scène qu’il ait reçues. La beauté absolue n’a pas besoin de penser.

Au Japon, on a modelé des personnages de manga à son image

Pour le garçon fragile et sensible, tout cela est excitant, mais aussi trop exigeant. Ce qu’il y avait d’autre reste diffus et lourd de sous-entendus, sans devenir plus concret. Après la représentation au Festival de Cannes, l’équipe, en grande partie homosexuelle, se rend dans un club gay. Visconti, lui-même homosexuel, y était aussi, se souvient Andrésen. Comment il est rentré chez lui, il ne s’en souvient pas.

Le film devient un succès mondial. Du jour au lendemain, Andrésen, que Visconti a déclaré « le plus beau garçon du monde », devient une superstar internationale. Au Japon, il fait de la musique et de la publicité, inspire même des personnages de manga, mais se perd rapidement dans l’admiration des autres, disparaît derrière l’idéal de beauté qu’il doit désormais incarner. Il devient dépendant aux pilules et à l’alcool, un mariage échoue, son jeune fils meurt de la mort subite du nourrisson alors qu’il est ivre et dort à côté. Son diagnostic de la cause du décès plus tard : « manque d’amour ».

Visconti lui a fait illustrer une histoire qui n’était pas la sienne, dit un jour l’amie actuelle d’Andrésen, nettement plus jeune. Cette déclaration est typique du 21e siècle, que le 20e siècle ne supporte plus : Tu joues ce que tu n’es pas ? Une idée insupportable. Pourtant, cette déclaration est compréhensible si l’on considère ce que le rôle a fait à Andrésen. Et pourtant, il faut bien sûr plus qu’une « Mort à Venise » pour ruiner une vie. Ainsi, dans la deuxième partie de leur film, Petri et Lindström déploient les coulisses d’une enfance triste et solitaire. La mère d’Andrésen a été assassinée dans la forêt. En tant que vieil homme, il consulte à présent les dossiers et ne peut cacher ses larmes.

Malgré tout cela, le moment où le jeune homme entre dans les appartements du réalisateur de renommée mondiale à Stockholm et scelle ainsi son destin reste la scène originelle du film. Et c’est justement son problème. Lindström et Petri succombent à nouveau au charme de l’ange blond, comme Visconti autrefois. Eux aussi, à partir de ce moment, font d’Andrésen une icône – non pas de la beauté, mais de la souffrance. Le film est certes touchant, mais souvent aussi larmoyant, lorsque Andrésen se traîne d’un pas lourd, silhouette décharnée, dans des couloirs sombres et sur des plages froides en hiver. Ainsi, les cinéastes bien intentionnés instrumentalisent à nouveau le pauvre homme aux yeux pâles. Alors que celui-ci perd à nouveau le contrôle de sa propre image.

Le plus beau garçon du mondeSuède 2020 – Réalisation : Kristina Lindström, Kristian Petri. Caméra : Erik Vallsten. Avec Björn Andrésen. Missingfilms, 94 min. Sortie en salle : 29.12.2022.