Nous étions le pape

Le premier pape d’Allemagne depuis environ 500 ans : Avec son élection en 2005, le cardinal Joseph Ratzinger est devenu le pape Benoît XVI. Sa démission en 2013 a également été historique.

Le simple fils de gendarme de Marktl am Inn sur la chaire de Pierre – ce fut le couronnement d’une carrière résolument ascendante : à 24 ans, Joseph Ratzinger fut ordonné prêtre, à 26 ans, docteur en théologie, à 30 ans, professeur à Ratisbonne, à 50 ans, archevêque de Munich et Freising. Peu après, en 1982, le pape Jean-Paul II nomme le cardinal Ratzinger au Vatican, à la tête de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Ratzinger, qui était encore considéré comme un réformateur lorsqu’il était jeune théologien conciliaire, se révèle désormais être un conservateur.

Tilmann Kleinjung

Son veto contre la consultation ecclésiastique en cas de grossesse conflictuelle et sa critique de la théologie de la libération latino-américaine ont consolidé la réputation de Ratzinger comme catholique pur et dur. « Panzerkardinal », « Grand Inquisiteur », tels étaient les qualificatifs dont on affublait le théologien originaire de Bavière. Pendant 23 ans, il a été le principal collaborateur de Jean-Paul II et son élection au poste de pape le 19 avril 2005 semblait cohérente. Un homme qui devait sauver l’Eglise d’une nouvelle dégradation.

Du professeur-cardinal à la star acclamée

Ratzinger avait alors 78 ans, il voulait en fait se retirer et écrire des livres. L’opinion publique mondiale n’était pas son terrain. Cela a changé très rapidement. Aussi rapidement que son image changeait – en Allemagne justement. Pour la première fois depuis près de 500 ans, un Allemand sur le trône papal ! « Wir sind Papst », titrait le journal Bild, faisant mouche.

Le pape émérite Benoît meurt à 95 ans – Nécrologie

Claus Singer, BR, tagesschau24 10:00 heures, 31.12.2022

Lors de sa première visite en Allemagne pour les Journées Mondiales de la Jeunesse à Cologne en août 2005, le théologien et professeur-cardinal était devenu une star acclamée, pour laquelle même les non-catholiques et les protestants s’étaient enthousiasmés – bien qu’avant son élection, alors qu’il était encore le cardinal Ratzinger, il s’était mis d’accord avec les églises protestantes pour être une église équivalente.

Visite de la patrie en Bavière

En 2006, les Bavarois ont réservé un accueil triomphal à « leur » pape lors de sa visite dans leur pays. Comme si le catholicisme s’était une nouvelle fois épanoui. Benoît XVI est retourné à ses racines, dans un coin encore très catholique de la Bavière : à Marktl am Inn, à la frontière autrichienne, où il est né la nuit de Pâques 1927. À Altötting, le centre spirituel de la Bavière catholique. A Ratisbonne, où il était professeur et où son frère Georg dirigeait les Domspatzen, célèbres dans le monde entier, et où beaucoup le connaissaient pour y avoir séjourné pendant ses vacances. Le catholicisme semblait alors tout simplement être à nouveau « in », une tradition vivante.

Catholicisme traditionnel et vécu

C’est ce mélange singulier de catholicisme traditionnel vécu et d’érudition extrêmement mondaine qui a fait de Joseph Ratzinger le théologien romain en chef et le pape.

Tout comme le leitmotiv de sa pensée était de réunir la foi et la raison. Ou comme il a tenté de réunir la tradition catholique romaine et le monde moderne. Cette dernière tentative a sans doute échoué parce qu’il ne pouvait voir la vie et la pensée modernes que comme un « relativisme » et qu’il se méfiait profondément des deux. Lorsque cela devint de plus en plus évident, l’enthousiasme disparut aussi vite qu’il était venu.

Avec sa démission, Benoît XVI a probablement plus changé la papauté et l’Eglise catholique qu’avec ses trois encycliques, ses voyages, ses discours et ses rencontres. (Photo d’archives 2014)

Image : AFP

Il semblait parfois déconnecté du monde

Benoît XVI a parfois semblé déconnecté du monde. Dans son « discours de Ratisbonne » lors de son voyage en Bavière, il a cité la critique de Mahomet faite par un empereur byzantin du XIVe siècle, provoquant ainsi des protestations et des émeutes dans les pays arabes, qui ont même entraîné des morts. En réintroduisant la messe en latin et la prière du Vendredi saint qui y est liée pour les juifs, il a irrité la communauté juive, bien qu’il ait toujours tenu à la compréhension et à l’œcuménisme.

A cela s’est ajouté en 2009 le cas Williamson. En janvier, le pape a levé l’excommunication de quatre évêques de la Fraternité Saint-Pie-X traditionaliste. L’un d’entre eux était le Britannique Richard Williamson. Un négationniste de l’Holocauste. Dans une interview à la télévision suédoise, il avait nié l’existence des chambres à gaz. Rome a réhabilité un antisémite. Une grave erreur pour laquelle le pape Benoît a été tenu personnellement responsable – même par la chancelière allemande de l’époque, Angela Merkel.

Le scandale des abus comme crise la plus grave

Au cours de sa longue carrière, Joseph Ratzinger a été confronté à un sujet en particulier : les abus commis par des membres du clergé sur des enfants et des adolescents. Benoît XVI a vécu la crise la plus grave de son mandat lorsqu’il a été révélé que des membres du clergé avaient abusé d’enfants pendant des décennies et qu’ils avaient été protégés par leur église.

Les protestations des personnes concernées ont accompagné ses voyages. Il a rencontré des victimes et, à ces occasions, a réitéré une demande d’excuses pour son Eglise et a annoncé des mesures sévères. L’Église aussi doit parfois « utiliser le bâton du berger » avec lequel elle protège la foi. A la fin de son mandat, Benoît XVI avait révoqué près de 400 prêtres catholiques pour abus sexuels. Des dizaines d’évêques ont été contraints de démissionner en raison de leur implication dans le scandale.

En 2022, neuf ans après sa démission, le scandale des abus sexuels rattrape une nouvelle fois Joseph Ratzinger. Un cabinet d’avocats munichois avait présenté, à la demande de l’archevêché, une expertise accusant l’ancien archevêque de Munich et Freising de mauvaise conduite dans quatre cas d’abus. Celui-ci a réitéré sa demande d’excuses, mais n’a pas voulu assumer de responsabilité personnelle.

Une démission qui a changé l’Église

Le lundi des Roses de l’année 2013 : le pape Benoît XVI annonce aux cardinaux surpris qu’il a l’intention de démissionner de la papauté à la fin du mois. Le pontife, alors âgé de 85 ans, explique qu’il doit reconnaître son incapacité à « continuer à bien remplir le ministère qui m’a été confié ».

Au plus tard lorsque des informations confidentielles sur la vie au Vatican ont été rendues publiques par l’affaire « Vatileaks », le pape allemand a semblé dépassé par les événements. En démissionnant, Benoît XVI a probablement plus changé la papauté et l’Eglise catholique qu’avec ses trois encycliques, ses voyages, ses discours et ses rencontres. Depuis, la plus haute fonction de l’Eglise apparaît bien comme une fonction temporaire.

Adieu à l’Église et au monde

Le 28 février 2013, le pape Benoît XVI a fait ses adieux à l’Église et au monde. Peu après, il s’installe dans un monastère spécialement aménagé pour lui dans les jardins de l’État de la Cité du Vatican, où il vivait depuis lors porte à porte avec le pape François en exercice. Ces dernières années, les forces de Joseph Ratzinger l’abandonnent de plus en plus : l’esprit, dit-on dans son entourage, est toujours aussi vif, mais la voix s’affaiblit, il est contraint de se déplacer en fauteuil roulant.

Malgré tout, le pape émérite entreprend à l’été 2020 un surprenant voyage dans sa Bavière natale, à Ratisbonne. Son frère Georg est en train de mourir. C’est aussi un voyage dans son propre passé. Benoît se rend dans son ancienne maison à Pentling, près de Ratisbonne. Et des rumeurs circulent : il resterait définitivement en Bavière. Mais après cinq jours, il est retourné dans sa maison de retraite à l’ombre de la basilique Saint-Pierre, où il vient de mourir à l’âge de 95 ans.