
La violence, la terreur des bandes et, plus récemment, le choléra poussent des milliers d’Haïtiens à se réfugier dans le pays voisin. Ce pays de vacances très apprécié réagit en s’isolant et en construisant un mur.
Il n’y a encore qu’un mur bas à la frontière de Dajabon, en République dominicaine. Mais il devrait bientôt atteindre quatre mètres de haut, équipé de fils, de capteurs et de miradors. Un « mur intelligent » est en train de voir le jour, rapportent fièrement des militaires comme Juan Adames Almonte.

Marie-Kristin Boese
Studio ARD Mexico City
« La clôture frontalière empêchera les délits tels que le vol et la contrebande et limitera massivement l’afflux de personnes ». Il s’agit de personnes en provenance d’Haïti.
Une clôture sur des centaines de kilomètres
Comme les Etats-Unis à la frontière avec le Mexique, la République dominicaine construit une clôture massive à la frontière sur plus de 160 kilomètres. L’objectif : s’isoler de l’Etat voisin pauvre d’Haïti. Les deux pays disparates se partagent l’île antillaise d’Hispaniola.
Mais alors qu’Haïti est au bord du gouffre, souffrant de la terreur des bandes, de la pauvreté, des effets de graves tremblements de terre et même récemment du choléra, la République dominicaine, avec ses plages et ses eaux cristallines, est considérée comme un paradis de vacances pour les Européens.
Après la pandémie, le tourisme prospère et l’économie se développe. La prospérité est certes ici aussi inégalement répartie, mais pour des milliers d’Haïtiens, la République dominicaine reste une terre de nostalgie.
Parfois, la frontière entre la République dominicaine et Haïti semble plutôt endormie. Mais cette impression est trompeuse.
Image : AFP
De nombreux Haïtiens tentent de se rendre dans le pays voisin. En novembre dernier, des scènes dramatiques ont eu lieu à la frontière.
Image : AP
Le soir, ils doivent repartir
Pour Gymps Maly aussi, qui, comme beaucoup d’Haïtiens, travaille chaque vendredi comme journalier sur le marché de Dajabon, en Dominique. Le soir, il doit rentrer en Haïti. En transportant des caisses de légumes, il gagne jusqu’à 400 pesos dominicains – environ sept dollars.
C’est beaucoup moins que ce que les Dominicains reçoivent, dit-il. Les employeurs profitent de la situation de détresse des Haïtiens, déplore Gymps. « Dans mon pays, il n’y a ni emploi ni espoir. Alors ils nous paient mal, même si nous travaillons vite et dur ».
Il ne voit pas de chances pour lui d’obtenir un permis de séjour en République dominicaine. « Trop compliqué », dit Gymps. Environ un demi-million d’Haïtiens vivent en République dominicaine, beaucoup sans papiers. Ils mènent actuellement une vie dans la peur.
Ils marquent également l’image du marché de la ville frontalière de Dajabon : des migrants venus de l’Haïti voisine.
Image : AFP
Des dizaines de milliers de personnes expulsées
En effet, la République dominicaine expulse massivement des Haïtiens, malgré la crise humanitaire dans le pays et malgré le chaos qui continue de s’installer après l’assassinat du président Jovenel Moïse à l’été 2021. Rien que cette année, 60.000 personnes auraient été expulsées.
Dernièrement, cette situation a suscité des critiques, notamment de la part des Nations unies. Le commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Volker Türk, a appelé le gouvernement à mettre fin à cette pratique au vu de la violence et des violations des droits de l’homme en Haïti. Dans le même temps, il a demandé aux autorités dominicaines de faire davantage pour lutter contre la xénophobie et la discrimination fondée sur l’origine nationale ou ethnique.
Des déclarations qui n’ont pas du tout été bien accueillies en République dominicaine. La politique d’immigration est du ressort du gouvernement, a déclaré le président dominicain Abinader. Gymps Maly, journalier haïtien, voit les choses ainsi : « Beaucoup de Dominicains ne nous respectent pas parce que nous sommes noirs. Il y a beaucoup de racisme ».
Déchéance rétroactive de la citoyenneté
En fait, la migration est depuis longtemps un sujet brûlant entre les voisins. Au 20e siècle, la République dominicaine a certes recruté des dizaines de milliers de moissonneurs haïtiens qui sont restés et ont fondé des familles. Pendant longtemps, la règle était que celui qui naissait dans le pays obtenait la citoyenneté.
Cela a changé avec une décision de la Cour constitutionnelle en 2013. Soudain, tous les enfants d’étrangers sans papiers nés dans le pays depuis 1929 n’avaient plus droit à la citoyenneté dominicaine, avec effet rétroactif. De facto, cela a touché des dizaines de milliers de personnes noires – presque exclusivement d’origine haïtienne.
La pression internationale a certes permis à ces personnes de demander la citoyenneté dominicaine. Mais ces programmes ont été très lents, critique William Charpentier, qui aide les migrants haïtiens à légaliser leurs documents au sein de l’Alliance nationale pour les migrations et les réfugiés.
Dans son petit bureau, Charles (nom modifié) a pris place. Il vit légalement en République dominicaine depuis des années. Mais cela fait maintenant sept mois qu’il attend le renouvellement de son permis de séjour. Le service des migrations ne réagit pas. « Si la police m’arrête, tout peut arriver », dit Charles.
Qui crée la richesse
Cette situation est particulièrement amère, car la prospérité de la République dominicaine est aussi le fruit du travail des Haïtiens, critique Charpentier. En effet, une armée de travailleurs haïtiens à bas prix est employée dans la construction, l’agriculture et le tourisme.
Certains secteurs s’effondreraient sans les Haïtiens, rapporte Charpentier. « En tout cas, cela coûterait beaucoup plus cher si les employeurs devaient embaucher des Dominicains. Les Haïtiens font un travail difficile ici, ils construisent des ponts, des hôtels, des routes. Le minimum que l’État dominicain devrait leur garantir, ce sont les soins de santé et l’éducation pour leurs enfants ».
Mais en tant que clandestins, ils n’y ont pas accès et ne peuvent guère se défendre contre l’exploitation. La construction du mur n’est qu’un symbole : « Un mur implique toujours qu’un côté se sent supérieur à l’autre. Un mur divise les gens », dit Charpentier.
Mais jusqu’à présent, le gouvernement dominicain ne fait aucun effort pour revoir sa politique. La République dominicaine, en tant que pays voisin, est celui qui souffre le plus de la crise en Haïti et offre plus de soutien aux Haïtiens que d’autres pays, affirme le gouvernement. Il a également annoncé qu’il maintiendrait sa pratique d’expulsion.
Haïti critique les pratiques d’expulsion de la République dominicaine
Marie-Kristin Boese, ARD Mexico, tagesschau 12:00, 27.12.2022