La chasse aux taupes au sein du BND

Un collaborateur du BND aurait livré des secrets à la Russie. Des recherches menées par WDR, NDR et le « Süddeutscher Zeitung » montrent comment les services secrets ont retrouvé sa trace – et pourquoi, par moments, une de ses collègues a également été prise pour cible.

Pour le Bundesnachrichtendienst (BND), c’est à la fois un succès et un super-GAU : un traître présumé aurait été démasqué dans les rangs du service de renseignement extérieur allemand. Peu avant Noël, le collaborateur du BND Carsten L. a été arrêté et se trouve désormais en détention provisoire. L’accusation est grave : trahison. L. aurait révélé des informations à un service secret russe – dont des documents du BND considérés comme des secrets d’Etat.

Le BND a retrouvé la trace de la taupe présumée selon les recherches de WDR, NDR et le « Süddeutscher Zeitung », il y a quelques mois, grâce à l’information d’un service partenaire étranger : des espions russes auraient eu accès à des secrets du BND. Il doit y avoir une fuite au sein du service. Le journal « Bild » en avait également fait état.

Une recherche compliquée

Le BND a alors lancé une enquête interne. C’est ce qu’on appelle la sécurité intrinsèque, une unité qui travaille à l’écart du reste du service et qui est chargée de détecter les traîtres au sein du BND. Elle dispose de sa propre unité d’observation, qui surveille secrètement les collaborateurs suspects et les suit parfois même jusqu’à l’étranger.

Les enquêteurs du BND se sont mis en quête de savoir d’où provenait le matériel divulgué et qui y avait accès. Ce n’est pas une tâche facile, car le BND compte aujourd’hui environ 7000 collaborateurs répartis sur plusieurs sites.

Grâce à une information provenant de l’étranger, le service de sécurité a finalement trouvé Carsten L., un fonctionnaire supérieur qui travaille à la direction du groupe de reconnaissance technique (Technische Aufklärung, TA). Ce service du BND est responsable des mesures de surveillance des communications téléphoniques, par satellite et par Internet dans le monde entier.

« Hinweis aus dem Ausland », Manuel Bewarder, NDR/WDR, à propos des recherches menées après les accusations d’espionnage du BND

tagesschau24 17:00 heures, 28.12.2022

L’un des postes les plus sensibles

Il s’agit de l’un des postes les plus sensibles du service de renseignement extérieur. C’est là que convergent les informations issues des écoutes téléphoniques, des messages radio ou des e-mails interceptés. Par exemple sur les zones de guerre et de crise comme l’Ukraine ou la Syrie, ou sur le programme nucléaire iranien. Il s’agit aussi régulièrement de renseignements fournis par des services partenaires, en premier lieu le service d’écoute américain NSA ou le GCHQ britannique. Près de la moitié des renseignements obtenus par le BND proviendraient du renseignement par télécommunication.

Carsten L. est considéré comme un expert en la matière, il a rejoint le BND il y a quelques années en provenance de la Bundeswehr, il a le grade militaire de colonel. Il travaille aussi bien dans l’ancienne centrale du BND à Pullach près de Munich qu’à Berlin, le nouveau siège des services secrets. Jusqu’à présent, cet homme n’avait jamais attiré l’attention. Mais aujourd’hui, il est soupçonné d’être une taupe. Cela était lié à l’une de ses collaboratrices.

Une collègue est désormais considérée comme innocentée

L’homme du BND aurait demandé à plusieurs reprises à cette femme des documents secrets, des informations explosives, pour lesquelles il n’y aurait pas eu de raison professionnelle vraiment reconnaissable. Les enquêteurs du BND se sont demandé si cette collaboratrice avait éventuellement participé à la trahison.

En dernier lieu, les soupçons à l’encontre de Carsten L. se seraient renforcés au point que le BND en aurait informé le procureur général fédéral, qui aurait alors ouvert une procédure et confié l’enquête au Bundeskriminalamt (BKA).

Le 21 décembre, Carsten L. a finalement été arrêté à Berlin. Les enquêteurs n’ont pas seulement perquisitionné son appartement berlinois et son bureau au siège du BND à Berlin-Mitte, mais aussi sa maison près de Munich. Et l’appartement de la collaboratrice. Elle est désormais considérée comme innocentée, rien n’indique qu’elle ait participé sciemment à une trahison, dit-on.

Le flux d’informations est considéré comme assuré

Le fait que des informations du BND aient été transmises à un service secret russe est considéré comme certain, selon des sources proches de l’enquête. Parmi ces informations, il y aurait du matériel qui permettrait de comprendre comment le BND procède pour renseigner la Russie. Les secrets des services partenaires étrangers ne seraient pas concernés.

La motivation de Carsten L. n’est toujours pas claire. Il n’y aurait pas eu d’argent. Les enquêteurs se demandent donc si l’homme du BND n’a pas été victime d’un chantage.

Carsten L. bénéficie toujours de la présomption d’innocence. Interrogé, son avocat a fait savoir qu’il ne prenait pas position sur les accusations. Interrogés, le procureur général et le service fédéral de renseignement (BND) n’ont pas souhaité s’exprimer davantage sur ce cas suspect.