Des moyens drastiques pour lutter contre les mariages d’enfants

Nulle part ailleurs qu’en Inde, autant de mineurs se marient. L’UNICEF estime qu’ils sont 1,5 million par an. L’Etat d’Assam s’y attaque désormais par des arrestations, avec des conséquences parfois dramatiques pour les familles concernées.

Nureja Khatun est désespérée : « La nuit, vers 23 heures, la police a emmené mon mari et l’a conduit au poste de police », explique-t-elle à un journaliste de l’agence de presse AP. « J’ai une petite fille. Qui va la nourrir maintenant ? Comment allons-nous survivre ? »

Peter Hornung

Akbar Ali, le mari de Nureja, a été arrêté à cause d’elle. Parce qu’il l’a épousée il y a deux ans. A l’époque, Nureja n’avait que 17 ans – selon la loi, il s’agissait d’un mariage d’enfants.

3000 maris arrêtés

En Assam, un État du nord-est de l’Inde, le gouvernement s’attaque désormais à ces mariages avec une sévérité sans faille. Les maris sont arrêtés, plus de 3000 jusqu’à présent. Ils sont placés dans des prisons provisoires. Ils risquent au moins deux ans de prison, voire beaucoup plus dans les cas extrêmes.

Le fils de Radha Rani Mandal en fait partie, il est le soutien de famille. Elle pleure et est abasourdie. « Je me suis adressée à un avocat pour la procédure judiciaire. C’était un crève-cœur de lui dire que je n’avais pas d’argent. Je n’avais que quelques centaines de roupies pour le transport. Je l’ai supplié parce que ma belle-fille est enceinte. Je ne sais pas ce que je dois faire. Il n’y a pas d’argent à la maison. Comment puis-je me promener et chercher une aide juridique en plus de mon travail salarié quotidien » ?

Dans un mariage sur trois, l’un des partenaires est trop jeune

Pour pouvoir se marier en Inde, les femmes doivent avoir au moins 18 ans et les hommes 21 ans. Mais cette règle n’est pas respectée dans de nombreuses régions du pays. Dans l’Etat d’Assam, connu pour ses plantations de thé, on estime que dans un mariage sur trois, l’un des conjoints est trop jeune. C’est la misère qui est derrière tout cela, le manque d’éducation et ce sont les traditions, surtout dans les campagnes.

L’UNICEF estime qu’en Inde, 1,5 million de filles mineures se marient chaque année, soit le nombre le plus élevé au monde. Il est nécessaire de lutter contre les mariages d’enfants, affirme Avy Krishna, directeur de la police de Guwahati, la capitale de l’Assam. En raison du taux de mortalité accru, de l’augmentation des grossesses d’adolescentes et du nombre élevé de mariages d’enfants, le gouvernement d’Assam a adopté une résolution selon laquelle « ce fléau social doit être éradiqué dans notre État », explique Krishna.

« Guerre » contre les mariages d’enfants

On parle d’une guerre contre les mariages d’enfants. Une guerre qui a commencé très soudainement et qui vise également les maris qui se sont mariés il y a des années.

La critique vient en revanche d’Anshuman Bora, de la Haute Cour de la capitale du pays. Selon lui, les arrestations ne devraient être qu’un dernier recours. « Pendant tant d’années, 16 ou 17 ans, personne n’a pris de mesures drastiques, pas même des mesures pour mettre fin au mariage des enfants. Soudain, du jour au lendemain, sans crier gare, ils ont pris ces mesures, ils ont commencé à arrêter les gens ». Selon le juriste, ce qui est important, ce sont plutôt les réformes sociales.

Les hommes musulmans surtout concernés

Certains dans le pays soupçonnent déjà des motifs politiques. L’Assam est gouverné par les nationalistes hindous du BJP, le parti du Premier ministre indien Narendra Modi. Les arrestations semblent concerner en grande majorité des hommes musulmans. Seules quelques centaines des plus de 3000 personnes arrêtées seraient hindoues.

L’action n’est pas dirigée contre les musulmans, affirme le gouvernement, il s’agit simplement d’une tolérance zéro pour les mariages d’enfants. D’ici 2026, il ne devrait plus y avoir de tels mariages, selon le plan. Mais la manière dont ce plan est mis en œuvre fait plus de mal que de bien – et les victimes sont ici aussi des femmes, des pauvres, des personnes sans formation, analphabètes, qui dépendent du peu d’argent que les hommes gagnent.

La mère d’une autre personne arrêtée est elle aussi désespérée : « Je n’ai pas d’argent, pas de parents, pas de famille, mes deux enfants sont mon seul espoir de survie. Je suis partie comme une folle à la recherche de mon fils. Qu’ils me le ramènent. Je n’ai jamais été au courant de ces lois sur le mariage des enfants ».